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Sécurité ou profit ? Telle est la question [Book review - Safety or profit? International studies in governance, change and the work environment]

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Article

Vogel, Laurent

HesaMag

2014

09

56

case study ; deregulation ; enterprise restructuring ; gender ; health impact assessment ; labour market reform ; occupational safety ; occupational safety and health ; trade union document

Australia ; Sweden ; United Kingdom

Occupational safety and health

French

"1973 : deux jeunes sociologues britanniques, Peter Armstrong et Theo Nichols, publient la brochure Safety or profit ?
C'est un texte bref, polémique, qui va droit à l'essentiel. Sa concision et son langage clair témoignent d'une compréhension de la réalité supérieure à la plupart des productions académiques de l'époque dans ce domaine. La majorité des livres sur les accidents du travail écrits il y a quarante ans peuvent dormir tranquillement dans les rayonnages des bibliothèques. Safety or profit reste d'une actualité étonnante.
Cette publication s'inscrivait dans un contexte précis. En Grande-Bretagne, la com¬mission Robens venait de publier un rapport sur la santé et la sécurité au travail plaidant pour l'autorégulation et des initiatives volontaires.
Pour Alfred Robens, la santé et la sécurité constituaient un intérêt partagé entre employeurs et travailleurs, éloigné des tensions des relations industrielles. On ne pouvait pourtant pas nier l'existence des accidents et des maladies. Robens les attribuait à "l'apathie". Ce concept, qui suffirait à tout expliquer, évoque la mélancolie dans la médecine d'Hippocrate. Le rapport Robens reste une référence de base dans la production législative de nombreux pays.
Quarante ans après, différents auteurs nous proposent un recueil d'études qui applique la grille d'analyse de 1973 au monde du travail d'aujourd'hui. Le fil conducteur reste que les accidents et les maladies causés par le travail ne sont pas des événements accidentels. Ils sont produits par l'organisation du travail et les structures d'emploi. La réalisation du profit implique aussi des rapports de pouvoir et une division du travail entre concepteurs et exécutants. Si les producteurs maîtrisaient complètement le processus de production, quelle légitimité trouverait-on à l'expropriation du produit de leur travail par les propriétaires de capitaux ? La perte du contrôle sur les conditions de travail débouche sur une organisation de la production pathogène. Dans ce contexte, les accidents, les maladies et la souffrance psychique sont des dégâts collatéraux aussi inévitables que la mort des civils au cours d'une guerre.
Le livre emmène le lecteur de l'Australie au Canada en passant par la Suède et la Grande-Bretagne. Il renouvelle le cadre théorique initial de Nichols et Armstrong.
Karen Messing et Katherine Lippel montrent l'importance d'une critique féministe des politiques et pratiques de la santé au travail. Cet apport est particulièrement important pour la politique européenne qui s'oriente vers ce qu'on appelle une approche basée sur le risque. Dans les faits, cela créera de plus grandes inégalités parce que la dévalorisation du travail des femmes est inséparable des stéréotypes selon lesquels leurs activités entraînent moins de risques que celles des hommes.
Michael Quinlan développe l'analyse de la précarité comme structure de vulnérabilité. C'est un concept commun qui permet de comprendre des phénomènes très diversifiés : sous-traitance, immigration, travail intérimaire.
Charles Woolfson établit le lien entre la santé au travail et l'environnement à travers l'analyse de deux désastres dans des installations pétrolières offshore : Piper Alpha en 1988 et Deepwater Horizon en 2010. Il explore cette énigme : comment des entreprises qui possèdent une maîtrise technologique de haut niveau comme la multinationale BP produisent-elles de telles catastrophes?
Steve Tombs et David Whyte font le bilan de la politique britannique entre 1997 et 2010. Sous la direction de Tony Blair, le parti travailliste opère un tournant décisif. Sa priorité est de soulager les employeurs du fardeau de la législation. C'est le lancement du concept de "better regulation" qui finira, quelques années plus tard, par paralyser le développement de la législation européenne.
Un bref compte rendu ne permet pas de révéler toute la richesse d'un livre. Qu'il incite nos lecteurs à considérer sa lecture comme urgente… et salutaire. Ce livre prémunit contre le fatalisme. Accidents et maladies ne se produisent pas parce qu'il y aurait une trop grande distance entre des règles ambitieuses et la pratique. Ce sont les règles elles-mêmes qui doivent être revues. Leur inefficacité est prévisible parce qu'elles contournent le problème essentiel du déséquilibre des pouvoirs au sein des entreprises et de la société. — Laurent Vogel"

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