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Les fruits amers du partenariat industrie-sciences [Book review - Defending the indefensible: the global asbestos industry and its fight for survival]

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Article

Vogel, Laurent

HesaMag

2009

01

48

asbestos ; asbestos cement industry ; asbestos mining ; compensation of occupational diseases ; corporate social responsibility ; environmental pollution ; mesothelioma

Australia ; Canada ; Kazakhstan ; South Africa ; United Kingdom ; Zimbabwe

Asbestos

French

"Toute réflexion sur l'amiante débouche sur une question lancinante : pourquoi a-t-on attendu si longtemps ? Les premières alertes ont été lancées il y a plus d'un siècle. Les connaissances médicales justifiaient l'interdiction de l'amiante au moins dès 1960. Les estimations du nombre de victimes varient suivant les sources. Il reste indiscutable que plusieurs millions de décès auraient pu être évités.
L'industrie de l'amiante s'est défendue en affirmant qu'elle ne disposait pas de données suffisantes sur les risques. L'étude historique détaillée de McCullock et Tweedale, déjà auteurs de plusieurs ouvrages sur le sujet, démonte cet argument. L'ouvrage est surtout consacré aux trois entreprises anglo-saxonnes les plus importantes du secteur : Johns-Mansville, Turner & Newall et Cape Asbestos. Le quatrième géant, le groupe européen Eternit, est traité moins systématiquement, de même qu'un cinquième acteur majeur, à côté de cette "bande des quatre" : l'Etat soviétique, qui a assuré presque 40 % de la production mondiale d'amiante au cours du XXe siècle.
Il faut remonter aux années 30 pour comprendre le système de défense mis en place par les entreprises productrices d'amiante. C'était l'époque des premières actions judiciaires aux Etats-Unis, intentées par des travailleurs malades d'asbestose. D'emblée, l'industrie décide de prendre les devants. A défaut de prévention, elle va orienter, suivant ses intérêts, la recherche médicale. Elle met en place en 1935 une Fondation pour l'Hygiène de l'Air. Cette fondation organise aux Etats-Unis une coopération systématique entre les entreprises et un certain nombre d'institutions universitaires. Elle apparaît comme un modèle d'initiatives ultérieures que l'on retrouve aujourd'hui encore aux quatre coins du monde. Il s'agit tout à la fois d'étudier les conditions de travail dans les industries concernées ; de proposer des mesures d'usage contrôlé, notamment par l'adoption de valeurs-limites ; de faire du lobbying auprès des autorités publiques ; de donner une couverture scientifique à un travail de propagande destiné à minimiser l'ampleur des risques. Quelques strapontins accordés à des syndicalistes complètent parfois le montage.
L'industrie disposait de données précises concernant les maladies causées par l'amiante bien plus tôt que les autorités publiques. Entre 1929 et 1935, les études commissionnées par l'industrie indiquent qu'environ la moitié des travailleurs occupés dans les mines d'amiante ou des entreprises textiles d'amiante seront victimes d'une maladie grave. Consciente de la gravité de la situation pour l'avenir de ses profits, l'industrie construit deux mythes.
Le premier prétend que l'asbestose est inexistante dans les mines canadiennes d'amiante. Pour les industriels, il suffit d'observer des règles élémentaires d'hygiène industrielle pour éliminer le risque. Le second prétend que l'asbestose est une maladie nettement moins dangereuse que la silicose. Par conséquent, inutile d'adopter une législation contraignante.
A partir des années 40, le lien entre l'amiante et le cancer du poumon commence à être mis en évidence. En 1940, le Dr Leroy Gardner fait inhaler des fibres d'amiante à des souris blanches ; 80 % d'entre elles développent un cancer pulmonaire. Les résultats sont communiqués à un des géants de l'amiante, Johns-Manville, qui se garde bien de les rendre publics.
La recherche commanditée par les entreprises ne porte pas uniquement sur des animaux de laboratoire. Les chercheurs disposent également de cobayes humains. Des dizaines de milliers de travailleurs exposés à l'amiante font l'objet d'études répétées pendant plusieurs dizaines d'années. Outre les fonds indispensables fournis par les entreprises, il y a là une "ressource humaine" gérée comme un patrimoine par les groupes industriels et rendue accessible à certains chercheurs ou refusée à d'autres, plus critiques et plus indépendants. Cela contribue à expliquer la relation presque symbiotique entre des épidémiologistes prestigieux comme Richard Doll et l'industrie de l'amiante.
Aux premières études concernant le mésothéliome, l'industrie réagit par la construction d'un nouveau mythe : celui de la relative innocuité du chrysotile parmi les différentes variétés d'amiante. Un document interne de la section d'Amérique du Nord de l'Association internationale de l'amiante indique explicitement en 1973 qu'il faut "commencer à raconter l'histoire du chrysotile et à discréditer les autres fibres".
Le chapitre final est amer. L'un après l'autre, les mythes de l'industrie ont été discrédités. Et pourtant, depuis une quinzaine d'années, la production d'amiante s'est stabilisée au niveau mondial. L'industrie a réussi à se reconvertir. A l'exception des anciennes républiques soviétiques, l'utilisation de l'amiante a été presque totalement éliminée dans les pays industrialisés mais elle s'intensifie en Asie. A la différence des époques précédentes, la croisade pour l'amiante repose désormais plus sur des Etats que sur l'industrie. Elle est guidée par le Canada et soutenue énergiquement par le Brésil, la Russie et la Chine. — Laurent Vogel"

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