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Malades du travail, malades en fin de vie… L'invisibilité sociale des cancers professionnels [Book review - Tristes scanners pour les travailleurs de l'aube. Des ateliers du 93 aux pavillons des cancéreux]

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Article

De Troyer, Marianne

HesaMag

2011

04

44

cancer ; migrant worker ; occupational disease ; occupation disease relation ; occupational risks ; survey ; working class

France

Occupational diseases

French

"Les cancers professionnels sont rarement abordés dans les livres destinés à un public non spécialisé. Pourtant, ce thème participe du large débat relatif à la santé au travail. Dans son ouvrage, Laura Boujasson nous fait part de son expérience en tant qu'enquêtrice au sein du Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (Giscop). Depuis 2002, le Giscop a reconstitué les parcours professionnels de plus de 900 patients atteints de cancers broncho-pulmonaires dans le département de la Seine-Saint-Denis (région parisienne), département où la population se caractérise par une importante surmortalité par cancer.
L'histoire de ce territoire mérite d'être évoquée : dès 1860, afin d'ouvrir et de faire "respirer" la ville de Paris, on y installe nombre d'entreprises industrielles (industries chimiques, textiles, métalliques). L'essor économique de ce territoire continuera jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. S'ensuit alors, dans les années 60, la désaffection de l'État français pour la centralisation des emplois industriels ; désaffection qui s'accompagne de primes à la délocalisation des entreprises et de pertes d'emplois conséquentes. En 1968, à la suite de réformes administratives, ce territoire devient département. L'objectif du parti gaulliste au pouvoir était, dans la perspective des élections municipales, d'y isoler le parti communiste français, principale force d'opposition de l'époque, qui y était très influent depuis les années 30. Les crises économiques des années 70 et 80 accéléreront le départ de toutes les grandes industries de ce département. Mais si, aujourd'hui, de nouvelles activités dans le secteur du tertiaire et de la recherche-développement s'y sont déployées, les stigmates du passé restent présents : taux de chômage élevé, logement dégradé, niveau d'éducation de la population plus faible que celui des départements voisins, etc.
Penchons-nous sur les témoignages et parcours professionnels des patients recueillis par entretien en face à face par les enquêteurs du Giscop et suivons leur cheminement. Les informations collectées sont traitées dans le cadre d'une expertise collective et pluridisciplinaire qui permet de croiser l'expérience des patients (travail réel) et celle d'experts de différentes disciplines (toxicologues, médecins du travail, ingénieurs de prévention, délégués au sein de comités de sécurité et d'hygiène). Le résultat en est un répertoire des activités de travail susceptibles d'exposition à des substances ou à des procédés cancérogènes.
De manière assez synthétique et cependant avec beaucoup de finesse, l'auteure présente quelques parcours professionnels de malades, citoyens pour lesquels la centralité du travail (structuration des rapports sociaux, enjeux matériels, formation des identités, etc.) a contribué à l'édification du soi. Elle évoque la signification pour ces travailleurs, diagnostiqués depuis peu, des résultats de la démarche scientifique à laquelle ils ont accepté de participer. L'enquête leur permet de prendre conscience de la filiation entre leurs conditions de travail passées et leur état de santé actuel alors que, jusqu'ici, ils percevaient le plus souvent leur maladie comme le résultat de comportements individuels inappropriés (le tabagisme, en particulier) et s'estimaient donc responsables de leur santé défaillante, constate l'enquêtrice. Son indignation se manifeste encore davantage quand elle mentionne l'injustice sociale supplémentaire que représente le parcours du combattant qui suit la qualification sociale de leur cancer, à savoir la demande en reconnaissance de la maladie professionnelle et son indemnisation potentielle.
Dans la foulée, Laura Boujasson exprime son ressenti face aux inégalités sociales et de santé, aux effets dévastateurs du travail précaire et aux difficultés de notre système de protection sociale à prendre en compte la reconnaissance des cancers professionnels. Sa plus grande surprise est peut-être, comme elle le dit elle-même, "de rendre compte de l'extrême banalité des risques cancérogènes au travail". La plupart de ceux-ci sont répertoriés par la littérature scientifique mais, comme fréquemment en matière de santé au travail, la progression des connaissances ne garantit pas pour autant l'adoption de politiques de prévention efficaces !
Changement de niveau d'analyse dans la deuxième partie de l'ouvrage où Laura Boujasson aborde la question du déni de reconnaissance des cancérogènes par les industriels et les employeurs dans le but d'éviter les réglementations contraignantes. Dans le dossier de l'amiante, on a pu voir son efficacité même si ce déni a fini par être mis à mal après de nombreuses années de lutte et combats en justice menés par les associations de victimes, lesquelles ont permis de sortir les victimes de leur isolement.
Au terme de l'ouvrage, Laura Boujasson indique que les cancers professionnels nécessitent à la fois plus de science et plus de politiques, mais que c'est surtout d'évaluation des risques au travail et de solutions visant à les réduire dont on aurait besoin. L'instauration d'une surveillance médicale post-professionnelle obligatoire pour certaines catégories de travailleurs et le renforcement des services de santé au travail pourraient aussi soutenir cette démarche. — Marianne De Troyer "

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