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Suicide et travail : trois livres pour comprendre [Book review]

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Article

Grégoire, Denis

HesaMag

2010

02

44

case study ; personnel management ; psychosocial risks ; suicide ; work organization ; work load

France

Psychosocial risks

French

"Le problème des suicides au travail ressurgit dans les médias français avec la régularité d'un métronome dont le tempo est réglé par les nouveaux cas de suicide chez France Télécom. Depuis 2008, l'entreprise de télécommunications a vu46 de ses salariés mettrent fin à leurs jours (bilan à la mi-avril 2010). Les déboires de l'opérateur historique français ont mis au grand jour l'impact du travail sur un phénomène jusqu'alors largement considéré comme relevant de la sphère privée. La médiatisation a aussi eu pour effet de cristalliser les reproches et les angoisses autour d'une seule entreprise, très opportune victime expiatoire.
Et cela, c'est regrettable. Car le fond du problème ce n'est pas France Télécom – une entreprise dont les conditions de travail ne sont certainement pas pires qu'ailleurs – mais bien les mutations dans les méthodes de management, une réalité qui n'est pas propre à l'ancienne entreprise publique.
Trois ouvrages, parus sur le sujet fin 2009, évitent cet écueil. Orange stressé décortique justement le cas de France Télécom (Orange est la marque commerciale phare de l'entreprise et est pressenti comme futur nom du groupe dans son ensemble). Le journaliste Ivan du Roy fait un parallèle entre l'augmentation de la souffrance psychologique parmi les salariés et la privatisation de leur entreprise. S'il met en garde face aux raccourcis - la souffrance au travail frappe également l'administration -, il épingle cependant le remodelage de la "culture" de l'entreprise à la suite de la transformation d'un service public en une société anonyme jouant dans la cour du CAC 40.
"Le 31 décembre 1997, leur métier est de satisfaire les besoins des usagers, quel que soit le temps passé ou le coût de l'intervention s'il faut aller réparer une ligne ou installer (gratuitement) une prise téléphonique ; le lendemain, 1er janvier 1998, les personnes qui les appellent ne sont plus des usagers mais des clients, à qui il faut vendre, le plus vite possible, un produit, voire susciter un désir d'achat", écrit Ivan du Roy.
Contre leur accord pour la privatisation de l'entreprise, la direction concède aux syndicats le maintien du statut de fonctionnaire pour les agents en place. Fort bien, mais dans un environnement désormais soumis aux lois de la concurrence et de la bourse, le personnel est rapidement jugé pléthorique. France Télécom va s'entourer de cost-killers, ces spécialistes de la "gestion des ressources humaines" issus des grands cabinets internationaux. Leur intervention est qualifiée par l'auteur de "management par l'incertitude" ou méthode des 5 M, pour Management par le stress, Mobilité forcée, Mouvement perpétuel, Mise au placard et Mise à la retraite.
Les premières victimes sont les employés, de tous niveaux, âgés d'une cinquantaine d'années. Pour forcer le départ de ces employés protégés par leur statut de fonctionnaire, tout est permis. L'auteur cite le cas de ce "brillant polytechnicien cinquantenaire, payé 10 000 euros par mois, devenu assistant de direction, dont le travail consiste désormais à préparer les badges avant les réunions et à servir des verres de jus d'orange aux managers".
Les méthodes des cost-killers occupent également une bonne place dans Travailler à en mourir. L'ouvrage est principalement consacré aux suicides de plusieurs employés du centre de recherche de Renault. L'auteur a rencontré les familles des victimes, qui dressent le portrait de techniciens et d'ingénieurs passionnés par leur métier et le secteur automobile. Certains sont "placardisés", d'autres doivent remplir des objectifs surhumains. Quelques-uns finissent par se jeter de la passerelle du Technocentre, d'autres sont retrouvés dans l'étang de Guyancourt (région parisienne). Pour expliquer ces suicides sur le lieu de travail, les auteurs retracent les mutations de l'entreprise à la suite de l'arrivée de Carlos Goshn à la tête de la firme au losange. Le nouveau patron annonce que Renault va doubler sa gamme en trois ans afin de produire 800 000 véhicules supplémentaires. Il s'en suit l'instauration d'un système de primes en fonction d'"indicateurs de performance"
"Derrière cela se dessine une idéologie du mérite qui est très individuelle : on punit les mauvais, on récompense les bons, mais il n'y a plus de notion du travail collectif", explique un syndicaliste de la CGT.
Dans Suicide et travail : que faire ?, une psychologue du travail décrit à son tour les ravages dus à la destruction des collectifs de travail. Florence Bègue nous raconte son intervention dans une entreprise de maintenance de matériel aéronautique touchée par plusieurs suicides.
Suite au passage d'une logique d'entretien à l'unité à une logique de production de série, la qualité décline chez Mermot, une entreprise qui depuis plus d'un siècle est réputée pour la compétence de sa main-d'oeuvre. Ce qui compte désormais, c'est de faire du chiffre.
"Ils décrivent l'éclatement des équipes organisées par métier qui détruit peu à peu la maîtrise de leurs savoirs professionnels et les contraint à devoir mal travailler. Les ouvriers disent assister à la véritable ‘mort' de leur métier, à une déqualification qui renvoie à des sentiments d'inutilité, à la perte de sens", écrit la psychologue.
Florence Bègue et le psychanaliste Christophe Dejours explorent très finement le rôle clé joué par le travail dans l'interaction entre identité individuelle et identité collective. Une relation qui est menacée par des méthodes de management qui tendent à isoler les travailleurs.
"La multiplication actuelle des suicides au travail ne résulte pas seulement des injustices, de la disgrâce ou du harcèlement. Elle résulte principalement de l'expérience atroce du silence des autres, de l'abandon par les autres, du refus de témoigner des autres, de la lâcheté des autres. L'injustice ou le harcèlement qui autrefois auraient été une expérience pénible ou douloureuse peuvent dans le contexte d'aujourd'hui dégénérer brutalement en crise d'identité." Plus qu'un constat, une véritable remise en question du modèle dominant d'organisation de l'activité économique. — Denis Grégoire"

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