By continuing your navigation on this site, you accept the use of a simple identification cookie. No other use is made with this cookie.OK
Main catalogue
Main catalogue
1

Syndicats et santé au travail, une histoire compliquée [Book review - Syndicalisme et santé au travail]

Bookmarks Report an error
Article

Grégoire, Denis

HesaMag

2018

17

49

occupational health ; trade unionism ; trade union role ; occupational risks ; psychosocial risks ; collective bargaining

France ; Italy

Occupational safety and health

French

"Alors que de nombreuses incertitudes planent sur l'avenir des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en France, un livre vient rappeler le rôle fondamental joué par cette instance dans la prévention des risques du travail, mais également leurs limites. Intitulé Syndicalisme et santé au travail, cet ouvrage collectif rassemble des contributions de syndicalistes et de chercheurs français en sciences sociales.
La sociologue du travail Annie Thébaud- Mony y présente deux expériences de mobilisation de CHSCT d'entreprises touchées par des cancers professionnels. Dans une usine auvergnate produisant des vitamines pour animaux, l'utilisation d'une molécule toxique a provoqué une trentaine de cancers du rein parmi les salariés. L'obstination des représentants des travailleurs du CHSCT d'Adisseo, un des leaders du marché des additifs pour animaux, a abouti à la condamnation de l'entreprise pour "faute inexcusable" par la justice. Le second cas de mobilisation syndicale exemplaire concerne l'exposition des agents de lignes de France Télécom (aujourd'hui Orange) à des parafoudres contenant des éléments radioactifs. Un CHSCT particulièrement dynamique de l'opérateur téléphonique public a pris l'initiative d'une enquête qui permettra, avec le soutien d'une équipe de scientifiques engagés, d'établir la forte exposition des "lignards" à la radioactivité. "Alors que les institutions officielles de recherche et d'intervention en santé publique continuaient à tenter de jeter le doute, l'expertise CHSCT, l'action syndicale et associative ont permis de briser l'invisibilité de situations dangereuses qui auraient dû faire l'objet de stratégies de prévention depuis de nombreuses années", écrit la sociologue française.
Laurence Théry, ex-secrétaire confédérale de la CFDT, présente des recherches-actions soutenues par son organisation à partir de 2005. Elle estime que ces initiatives ont permis de renouveler les pratiques syndicales. Elles ont permis de "libérer la parole" des salariés et d'"entrer dans cette boîte noire qu'est le travail réel". Mme Théry, qui dirige aujourd'hui l'Association régionale pour l'amélioration des conditions de travail de Picardie, plaide pour un syndicalisme de terrain, au plus près des salariés. "L'action syndicale, pour sortir du discours descendant et généralisant, ne peut que s'enraciner dans les situations réelles de travail. Cette démarche nécessite de s'intéresser au microscopique ; la tentation est forte de réduire les détails à de l'anecdotique. Or, toute intention transformatrice suppose de se mouvoir entre l'infiniment petit et la question du bien commun, ces deux points de vue étant liés. C'est à partir du microscopique et de sa compréhension que les syndicalistes mobilisent les salariés et construisent une réflexion qui intègre la complexité des situations", écrit-elle. À la CGT, on plaide également pour un "renversement" de l'approche syndicale par rapport au travail.
Jean-François Naton, conseiller confédéral CGT en charge de l'activité travail-santé, invite le mouvement syndical à "oser revendiquer le travail comme fondement d'émancipation et solder cette théorie de la fin du travail qui a alimenté la réflexion de trop nombreuses années". Dans un chapitre consacré à la mainmise de l'expertise sur les politiques publiques en matière de santé au travail, le sociologue Emmanuel Henry et l'épidémiologiste Émilie Counil remettent en question le "paradigme épidémiologique". Ils dénoncent la place prédominante qu'occupe l'épidémiologie dans le champ de la recherche et ses effets dévastateurs pour les travailleurs. "Impliquant de compter les malades et les morts dans la durée, impuissant à alimenter une prise de décision favorable à la prévention, le recours à l'épidémiologie pour la prise de décision est parfois perçu comme une expérimentation humaine à grande échelle", s'insurgent-ils.
La sociologue Danièle Linhart, spécialiste des méthodes de management, rappelle que les syndicats ont longtemps hésité à s'engager fermement dans la voie de la prévention des risques. Durant les Trente Glorieuses, ils ont souvent fait de la santé au travail un objet de marchandage : "Les syndicats ne cherchaient pas tant à éradiquer les sources de danger ou de pénibilités mais plutôt à les monnayer." La période post-Mai 68 a laissé un héritage, on se souvient du slogan "Ne pas perdre sa vie à la gagner", mais la mise en discussion de l'organisation du travail et de son impact sur leur santé par les travailleurs eux-mêmes a subi la contre-offensive patronale de la fin des années 70 et la mise en place dans les deux décennies suivantes de nouvelles méthodes de management qui ont considérablement affaibli les collectifs de travail.
Ses collègues sociologues de l'université d'Aix-Marseille, Paul Bouffartigue et Christophe Massot, estiment que dans le domaine des risques psychosociaux, un CHSCT ne peut mener un travail efficace que si deux conditions sont réunies : que les représentants du personnel soient en capacité d'établir un rapport de force avec l'employeur et que la question du travail réel puisse être discutée au sein de cette instance. Ils recommandent aux élus de retourner vers les salariés plutôt que de s'enfermer dans les instances.
Devraient-ils s'inspirer du "modèle ouvrier italien" des années 1970 ? C'est la voie proposée par Laurent Vogel. Ce qui, pour le chercheur de l'Institut syndical européen, implique des transformations internes au sein du mouvement syndical. Il propose de "remettre en question une représentation de la santé et de la sécurité au travail comme une matière déléguée à des spécialistes".— Denis Grégoire"

Digital;Paper



See also

Bookmarks Report an error