Han Dongfang : de héros de Tiananmen à modeste défenseur des ouvriers [Book review - Mon combat pour les ouvriers chinois]
2014
10
52
biography ; labour movement ; trade union officer ; trade union ; trade union document
Trade unionism
French
"Ne le qualifiez surtout pas de dissident. Malgré son passé de héros de Tiananmen, il rejette cette étiquette, trop intellectuelle, trop cérébrale. Han Dongfang n'a pas oublié qu'avant les événements du printemps 1989, il était simple cheminot. Et puis, avec des parents qui choisissent de vous appeler Dongfang, ce qui signifie "l'Orient", en référence à L'Orient est rouge, l'hymne de la Chine pendant la Révolution culturelle, comment pourrait-on enfiler le costume de contre-révolutionnaire ?
Non, Han Dongfang ne s'est jamais rêvé en Walesa d'Extrême-Orient. "Jamais je n'ai poussé les ouvriers à l'action politique", écrit-il dans son autobiographie, parue début 2014 en France. Non, lui, le pragmatique aux origines campagnardes, ce qu'il veut c'est contribuer, modestement, à améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers. Du concret donc. Quand, depuis son exil forcé à Hong Kong, il crée en 1994 le China Labour Bulletin, il veut convaincre les travailleurs les plus pauvres des bénéfices qu'ils pourraient retirer s'ils s'organisaient collectivement. Le bulletin est imprimé et envoyé par la poste à un fichier de 5 000 entreprises, un peu comme on lancerait une bouteille à la mer. Les résultats sont décevants, évidemment.
Han Dongfang comprend qu'il n'arrivera à rien sans la participation concrète des ouvriers eux-mêmes. Mais comment faire alors qu'il est bloqué sur le territoire hongkongais ? C'est alors qu'il se souvient que, sur l'insistance de sa mère qui considérait qu'il avait "une belle voix", il avait posé, sans succès, sa candidature à Radio Pékin. Il contacte Radio Free Asia, récemment installée à Hong Kong grâce au soutien du Congrès américain, qui lui propose plusieurs heures d'antenne chaque semaine. Au début, il tâtonne, lit dans son petit studio des commentaires sur les conditions de travail en Chine. Inintéressant car détaché de la réalité de terrain. "Je me retrouvais dans le rôle de journaliste d'une rédaction qui ne quitte jamais son bureau et passe son temps à commenter", témoigne-t-il aujourd'hui.
Il convainc alors Radio Free Asia de défrayer une ligne téléphonique pour appeler directement les ouvriers dans toutes les régions du pays continent. "Ces échanges hebdomadaires m'ont permis de comprendre comment vivent les ouvriers chinois et ce qu'ils subissent au quotidien. Ils ont permis au China Labour Bulletin de se créer un réseau d'ouvriers à travers tout le pays." À présent, beaucoup l'écoutent via Internet, en Chine, mais aussi partout ailleurs dans le monde, où l'émission a du succès parmi la diaspora chinoise.
Internet et les réseaux sociaux, en particulier Weibo, le Twitter chinois, permettent de toucher une génération plus jeune, ceux qui sont nés dans les années 90. "C'est une génération de travailleurs migrants qui ne s'en laisse plus compter (…) Ils élaborent sur Internet une solidarité virtuelle, qui peut à tout moment se concrétiser par un mouvement de protestation important", s'enthousiasme-t-il, confiant dans leur capacité à faire bouger les choses.
Contrairement à leurs parents, ils n'ont pas connu l'époque du "bol de riz en fer", cette période où en échange de leur labeur les ouvriers de l'industrie bénéficiaient de la sécurité d'emploi, d'une retraite garantie, de soins médicaux, d'une école gratuite pour leurs enfants, d'un logement mis à leur disposition par leur entreprise. Celle-ci a été privatisée dans les années 90 et "les fonctionnaires locaux sont devenus les patrons de sociétés privées". Le lien de confiance est rompu, le vernis marxiste du régime chinois est définitivement craquelé.
Mais la route reste longue et les défis nombreux. Avec l'expansion industrielle, l'environnement et la santé des travailleurs sont menacés. "Depuis deux ans, la plupart des cas que l'on engage sont essentiellement liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles", constate-t-il. La silicose fait des ravages – plus de six millions d'ouvriers seraient touchés –, des mineurs évidemment, mais aussi des ouvriers de la construction, des cimenteries, de la fabrication de bijoux, etc. Afin de les aider à obtenir un dédommagement, le China Labour Bulletin envoie des avocats, jusque dans les villages les plus reculés. Et cela finit par payer : en 2012, la loi a été révisée et le travailleur victime de silicose ne doit désormais plus établir la relation entre sa maladie et son travail pour obtenir réparation.
Après vingt ans d'activisme, Han Dongfang semble enfin accepter l'idée qu'il ne retournera peut-être jamais dans son pays. Sa Chine à lui, il la vit désormais à travers les témoignages des laissés pour compte de la croissance, les invitant à se mobiliser pour défendre leur droit à la dignité mais sans franchir la ligne rouge. Car il n'a pas oublié Tiananmen : "En Chine, verser dans des actions politiques, c'est s'exposer à la prison, voire à la mort." — Denis Grégoire"
Digital;Paper
The ETUI is co-funded by the European Union. Views and opinions expressed are however those of the author(s) only and do not necessarily reflect those of the European Union or the ETUI.