Regards croisés sur l'inspection du travail [Book review - Regulating workplace risks: a comparative study of inspection regimes in times of change]
2012
06
56
comparison ; labour inspection ; labour inspection role ; labour law ; OSH management system ; plant safety and health supervision ; trade union document
Australia ; Canada ; France ; Sweden ; United Kingdom
Labour administration and labour inspection
French
" L'inspection du travail est apparue dans la plupart des pays industrialisés au cours du XIXe siècle. De nombreuses monographies nationales sont consacrées à ce dispositif essentiel des rapports de travail, les études comparatives sont par contre plus rares. Dans cette analyse comparative, différents experts internationaux en santé au travail, interrogent l'évolution des inspections dans cinq pays ou régions — Australie, Suède, Royaume-Uni, Québec et France — à partir d'une question centrale : comment garantir une intervention publique efficace pour la santé au travail dans une période de changement ?
Ce livre s'est construit sur base de rencontres entre experts qui se sont déroulées sur une période de dix ans. De cette manière, les auteurs ont pu éviter de présenter des études hétérogènes qui, au-delà de leurs qualités singulières, suscitent une certaine frustration lorsqu'elles apparaissent ensemble dans un recueil sans grande unité.
Les auteurs considèrent l'inspection comme un maillon essentiel entre les règles et leur application sur les lieux de travail. Ils montrent que les deux termes de cette équation ont subi des changements profonds au cours des dernières décennies. La régulation de la santé et de la sécurité au travail a privilégié l'organisation de processus d'analyse, de débat et de prise de décision qui étaient supposés faire évoluer les entreprises dans la bonne direction. Ton Wilthagen, un expert néerlandais, parle d'"autorégulation régulée" dans le sens où elle stimule les entreprises à prendre les bonnes décisions au bon moment tout en déterminant des objectifs à atteindre et, avec une intensité variable, en mettant en place des structures et des moyens (services de prévention, comités de sécurité et hygiène, documentation de l'évaluation des risques).
Si la régulation a changé, le travail a également évolué. Parmi les tendances qui posent les défis les plus difficiles, le développement de chaînes de sous-traitance ne permet pas de maîtriser entièrement le processus réel de travail à partir du seul rôle des entreprises conçues comme des unités juridiques séparées. La situation est d'autant plus complexe que les attentes ont également évolué. La prévention a été largement dominée par l'objectif de réduire les accidents du travail. Aujourd'hui, il apparaît que les travailleurs, la société et les autorités publiques mettent en avant la préservation de la santé y compris contre les effets négatifs du travail à long terme. Qu'il s'agisse d'éviter les cancers ou de réduire les risques psychologiques, les approches traditionnelles demandent à être réexaminées de façon critique.
La réponse la plus courante dans les politiques publiques a été le développement de processus de gestion systématique. Ces derniers peuvent relever de deux types de régulation : ils sont prescrits dans une réglementation publique ou relèvent d'organismes de standardisation. Dans ce second cas, la gestion des risques du travail s'accomplit via des normes de référence volontaire, éventuellement accompagnées par des procédures de certification par des acteurs privés. La distinction entre les sources et le caractère obligatoire ou volontaire de ces systèmes de gestion est moins nette dans la pratique lorsque l'inspection du travail privilégie l'avis et la persuasion et ne considère la sanction que comme le dernier recours.
Au Québec, c'est une approche différenciée suivant les secteurs de l'économie qui prévaut. Une organisation systématique de la prévention n'y est obligatoire que dans 10 secteurs sur 30. Par ailleurs, certaines règles, notamment la formation d'un comité de sécurité et hygiène, ne s'appliquent qu'aux entreprises qui comptent plus de 20 travailleurs. Cette approche morcelée aurait dû être remplacée par un système plus global, mais celui-ci n'a jamais vu le jour, faute de consensus entre organisations syndicales et patronales. Depuis plus de trente ans, les entreprises québécoises connaissent ainsi des régimes de régulation différents qui semblent fondés sur des stéréotypes concernant les "faibles risques". Des règles plus strictes s'appliquent dans la chimie ou la métallurgie tandis que le textile, l'agriculture et les services sociaux sont soumis à des obligations allégées. Au total, un quart des travailleurs québécois bénéficient d'une prévention systématique. Ce pourcentage est même plus faible pour les femmes.
Dans deux États australiens (Victoria et Queensland) et au Royaume-Uni, les obligations de sécurité des employeurs sont étendues à l'impact de leurs activités sur l'ensemble des personnes concernées, qu'il s'agisse du public ou de travailleurs d'entreprises actives sur les mêmes sites de production ou se trouvant dans un rapport de sous-traitance.
Le recueil montre les limites des réformes intervenues au cours de ces dernières années. Il souligne l'incohérence des politiques publiques lorsque celles-ci visent prioritairement à réduire les coûts. Des systèmes d'inspection dotés de ressources suffisantes demeurent une condition essentielle de la crédibilité de toute politique publique pour la santé au travail. Les auteurs soulignent que l'approche nouvelle ne fonctionne vraisemblablement que dans des entreprises où il existe une implantation syndicale qui parvient à influencer l'organisation du travail. Ils s'inquiètent du désintérêt croissant de nombreux gouvernements à l'égard des systèmes d'inspection. — Laurent Vogel"
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