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Chroniques d'un management toxique chez France Télécom [Book review - La raison des plus forts : chronique du procès France Télécom]

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Article

Musu, Tony

HesaMag

2020

22

60

bullying at work ; management technique ; management failure ; telecommunications ; judicial procedure

France

Psychosocial risks

French

""Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte", déclare Didier Lombard en 2006 alors qu'il est PDG de France Télécom. Dans les trois années qui vont suivre, on va recenser plus de soixante suicides et près de quarante tentatives de suicide parmi les salariés de l'entreprise de télécommunication issue du service public historique des Postes, télégraphes et téléphones. Il faut ajouter à ce bilan macabre de nombreux cas de dépressions, des burn-out et des centaines de collègues dont la vie sera marquée à jamais.

Cette tragédie survient à la suite de son plan de restructuration baptisé "NExT" qui vise 22000 départs et 10000 mobilités en trois ans sur un effectif de plus de 100000 personnes. La concurrence est rude dans le secteur libéralisé des télécommunications, il faut moderniser l'entreprise, la rendre plus compétitive et plus rentable. En pratique, c'est une politique particulièrement brutale que les dirigeants de France Télécom mettent en œuvre pour déstabiliser les salariés et les forcer soit à accepter une mobilité interne, soit à prendre un départ volontaire. Les managers sont formés pour augmenter la pression sur leurs équipes, réduire leur autonomie d'action, imposer des changements de postes ou de métiers, placardiser les plus âgés et, au final, inciter les travailleurs à "se soumettre ou à se démettre". Une part variable de la rémunération des cadres sera même liée au dépassement des objectifs en matière de mobilité et de réduction des effectifs.

Au terme d'un procès qui aura duré 41 jours entre mai et juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a rendu un jugement qui fera date dans le droit pénal du travail. Didier Lombard, son adjoint Louis-Pierre Wenès et le directeur des Ressources humaines Olivier Barberot ont été déclarés coupables de "harcèlement moral", condamnés à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15000 euros d'amende. La société France Télécom, devenue Orange en 2013, a été condamnée à la peine maximale pour une personne morale, soit 75000 euros d'amende. Les parties civiles (43 personnes physiques, victimes ou ayants droit, dont les syndicats à l'initiative du procès) ont été indemnisées au titre de préjudice moral pour des sommes variant entre 15000 et 45000 euros.

Dans La raison des plus forts, chroniques du procès France Télécom, Eric Beynel, porte-parole du syndicat Solidaires, nous plonge au cœur de ce procès historique. Le procès n'a pas été uniquement un débat juridique. Il a créé l'opportunité d'un moment fort de réflexion collective sur les violences managériales. Éric Beynel a demandé à des romanciers, des chercheurs et des artistes de rédiger un récit d'audience. Chaque jour, ces textes étaient mis en ligne sur un site qui permettait de suivre en direct le procès. À travers le regard de ces personnalités, journalistes d'un jour, le lecteur peut revivre les nombreux témoignages, les débats et les plaidoiries qui ont ponctué ce procès au long cours. On comprend alors les mécanismes d'une stratégie d'entreprise qui visait délibérément à créer "un climat anxiogène" et à "dégrader les conditions de travail". Une véritable machine à broyer les salariés pour imposer une modernisation rapide de France Télécom et redresser le niveau de son action en bourse.

Le caractère historique de ce procès tient au fait que pour la première fois un tribunal reconnaît la notion de "harcèlement moral institutionnel" et en situe les responsabilités au plus haut niveau de l'entreprise. Le jugement indique également que le harcèlement moral "peut avoir ses racines profondes dans l'organisation du travail et les formes du management".

En tournant les pages de ces Chroniques du procès France Télécom, on touche du doigt la souffrance au travail générée par un management toxique. La descente aux enfers de ces femmes et de ces hommes fiers de leurs métiers, de leur appartenance aux services publics qui, à cause d'une organisation du travail pathogène, se mettent progressivement à douter de leurs compétences, du sens de leur travail jusqu'à s'en rendre malade.

Impossible de ne pas être ému à l'évocation du parcours de Stéphanie Moison, 32 ans, qui s'est jetée du cinquième étage dans la cour centrale d'un immeuble de France Télécom à Paris ou de celui de Rémy Louvradoux, 56 ans, qui s'est immolé par le feu devant un site de France Télécom à Bordeaux. Impossible non plus de ne pas être écœuré et révolté par le cynisme de ces capitaines d'industrie quand ils déclarent, par exemple, qu'"il faut arrêter cette mode des suicides" et leur mépris vis-à-vis des victimes et de leur famille. "Aucun d'entre eux n'a présenté ses condoléances à la famille de la jeune femme qui s'est jetée par la fenêtre sous le regard de ses collègues", note un observateur.

Un ouvrage à mettre entre les mains de toutes celles et tous ceux qui se battent dans notre société néolibérale pour des conditions de travail meilleures, plus humaines et respectueuses de la dignité des personnes. Comprendre est toujours essentiel à qui veut agir. - Tony Musu"

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