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Les bienfaits de l'égalité [Book review - The spirit level. Why equality is better for everyone]

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Article

Vogel, Laurent

HesaMag

2011

03

44

equal rights ; poverty ; social problem ; social inequality

Social sciences

French

"L'épidémiologie suscite peu de débats en dehors des cercles spécialisés. Elle n'attire pas les grands éditeurs et ne se retrouve pas dans des livres de poche. Ses contributions ne sont jamais citées au cours de campagnes électorales. Le livre de Wilkinson et Pickett The Spirit Level constitue une exception de taille. Best seller dans son domaine, il est cité – parfois abusivement – aussi bien par l'actuel Premier ministre conservateur britannique David Cameron que par le nouveau leader de l'opposition travailliste Ed Miliband. Lors de sa sortie, l'ouvrage a provoqué des polémiques furieuses et d'innombrables débats, au Royaume-Uni et bien au-delà.
The Spirit Level désigne en anglais le niveau à bulle qu'utilisent les maçons pour vérifier l'horizontale. Ce beau titre peut évoquer tout à la fois le travail et un des courants les plus attachants de la révolution anglaise du XVIIe siècle : les levellers ou niveleurs qui incarnaient des exigences démocratiques radicales.
Les auteurs s'interrogent sur les liens qui existent entre l'augmentation des inégalités de revenus et un ensemble d'indicateurs qui reflètent la qualité de la vie dans les pays capitalistes développés. Ils examinent les données existantes dans des domaines très variés : mortalité infantile, obésité, homicides, taux d'incarcération, etc. Ils utilisent des études validées et suffisamment homogènes pour permettre une comparaison.
Leur conclusion est nette : la qualité de la vie dans une société ne dépend pas de la richesse produite telle qu'elle s'exprime dans le produit national brut. Elle est beaucoup plus directement en rapport avec les niveaux d'inégalité de revenus. Si l'on prend les 23 pays examinés, on peut les ranger suivant l'ampleur des inégalités de revenus. Les pays les moins inégaux sont le Japon, la Finlande, la Norvège et la Suède où les revenus des 20 % les plus riches représentent entre trois et quatre fois les revenus des 20 % les plus pauvres. A l'autre extrémité de l'échelle se trouvent Singapour, les Etats-Unis, le Portugal, le Royaume-Uni et l'Australie avec des écarts qui varient de 7 à 10. La plupart des pays de l'Union européenne se trouvent entre les deux groupes (5,2 pour l'Allemagne, 5,6 pour la France, 6,7 pour l'Italie). Lorsqu'on examine les performances des mêmes pays en termes de qualité de vie, on trouve que, pour l'essentiel, plus les revenus sont inégaux, moins bien on vit dans la société : le taux d'analphabétisme augmente, de même que la mortalité infantile et la population carcérale. Des tendances convergentes se dégagent pour les maladies mentales, les grossesses adolescentes, les maladies cardiovasculaires, l'abus de drogue ou de médicaments, la faible mobilité sociale et le décrochage scolaire.
Le constat est similaire à l'échelle des Etats-Unis. Parmi les 50 Etats de la fédération, on tend à observer une meilleure qualité de vie là où les revenus sont distribués de la façon la moins inégale. Avec des niveaux de richesse par habitant qui sont comparables mais plus d'égalité, on vit nettement mieux au Minnesota, dans le Vermont et dans l'Iowa qu'en Californie, en Géorgie ou au Texas.
S'il n'apporte pas de nouvelles données, The Spirit Level a l'immense mérite de résumer de façon accessible des données généralement dispersées dans des études spécialisées. Les auteurs montrent dans la première partie du livre qu'il existe une cohérence globale dans le fonctionnement des sociétés et que l'inégalité de revenus est presque systématiquement associée à des phénomènes négatifs très variés et apparemment sans connexion réciproque. Elle permet de conclure que des politiques sectorielles sont vraisemblablement moins efficaces qu'une politique globale de réduction des inégalités.
Dans la deuxième partie, les auteurs ébauchent un modèle explicatif sur le lien entre les inégalités et un malaise social diffus. Ils privilégient le rôle joué par le stress sur base d'une approche qui articule psychologie, anthropologie, médecine et rapports sociaux. A la tendance à la hiérarchie entre dominés et dominants, les auteurs opposent la volonté de communication, de coopération et les sentiments de gratitude et d'entraide. Ils montrent comment ces tendances à se regrouper dans des sociétés d'égaux engendrent la confiance mutuelle, réduisent les tensions psychologiques et ont des effets bénéfiques tant pour la santé individuelle que pour la vie en société. Les explications sont souvent convaincantes. Elles n'en demeurent pas moins partielles. Dans sa concision et sa volonté de présenter la complexité des rapports sociaux à partir d'une épure presque mathématique, le livre sous-estime parfois la manière spécifique dont le capitalisme s'articule avec des rapports sociaux qui l'ont précédé. L'histoire sociale et culturelle tend à s'effacer et s'en trouve réduite à un arrière-plan presque anecdotique, qu'il s'agisse de l'esclavagisme aux Etats-Unis, de la réforme luthérienne dans les pays scandinaves ou des liens entre le mouvement ouvrier et la social-démocratie en Europe occidentale.
Les perspectives politiques occupent un troisième volet du livre. L'argument selon lequel il est plus important de lutter contre l'inégalité que d'augmenter la production de richesses matérielles découle logiquement des analyses présentées. Le lecteur peut cependant rester surpris par l'écart entre la radicalité des constats et l'extrême prudence des pistes politiques proposées. La politique préconisée consiste en "un courant continu de petits changements dans une direction cohérente". Les coopératives de producteurs se voient assigner un rôle important dans l'évolution économique et sociale. Les auteurs semblent estimer qu'une politique fondée sur la force évidente des statistiques serait en mesure de convaincre les privilégiés de la nécessité d'une société sans inégalités. Les arguments pragmatiques utilisés à cette fin ne tiennent pas entièrement compte de la complexité des enjeux : il ne s'agit pas uniquement de revenus mais aussi de propriété et du pouvoir que celle-ci confère sur l'existence des autres. La confiance dans une évolution irréversible vers une égalité croissante mériterait un débat plus spécifiquement politique. Le recours à des données statistiques et épidémiologiques se révèle ici insuffisant. On ne fera pas l'économie d'une réflexion sur les objectifs d'un changement de société, sur les alliances et les obstacles probables. — Laurent Vogel"

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