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Aux sources du mal-être au travail [Book review - Travail, les raisons de la colère]

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Article

Scandella, Fabienne

HesaMag

2012

06

57

bullying at work ; burnout ; occupational psychology ; quality of working life ; stress ; work ; work organization ; working conditions ; trade union document

France

Occupational psychology and sociology

French

"La thématique des risques psychosociaux liés au travail n'est désormais plus confidentielle. L'actualité – souvent dramatique en cette matière (France Télécom, Renault, etc.) – a contribué à orienter les projecteurs sur la face sombre de l'univers du travail contemporain. Celle où un nombre croissant de travailleurs souffrent de stress, de burn out, de violence ou de harcèlement, celle aussi où, désespérés, certains travailleurs en viennent parfois à mettre fin à leurs jours. Les publications sur ce sujet se multiplient.
Désormais, dans les rayonnages consacrés à ces risques professionnels dits émergents, tous les genres et toutes les pers¬pectives se côtoient : comptes rendus aux intonations analytiques, pamphlets dénonciateurs de pratiques managériales dégradantes, satires visant à contester le lien entre ces maux d'ordre psychique et l'univers du travail, manuels des "nouvelles" bonnes pratiques managériales destinées à contenir les dommages collatéraux inhérents à l'inassouvissable course à la productivité, etc. En bref, le pire comme le meilleur.
Parmi cette pléthore d'ouvrages, le dernier opus de Vincent de Gaulejac, intitulé Travail, les raisons de la colère, mérite d'être épinglé. Sans faux-fuyants, l'auteur propose, dans un langage clair et accessible, un exposé critique sur les transformations du monde du travail, sur les causes du mal-être qui s'y développe et sur les enjeux pluriels (économiques, politiques, scientifiques) qui lui sont associés.
Son mérite principal est sans conteste de combattre de façon convaincante un certain nombre d'idées fausses ou stériles qui polluent actuellement la plupart des débats relatifs au mal-être au travail. L'auteur récuse l'approche psychologisante qui fait fi du caractère pathogène du contexte de travail et attribue aux seuls individus la responsabilité de leur mal-être.
Pour Vincent de Gaulejac, l'ampleur du malaise suffit à démentir cette approche et, contre les solutions individuelles qui agissent comme autant d'emplâtres sur des jambes de bois (p. ex. les formations à la gestion du stress), il faut s'attaquer aux causes réelles du mal-être, aux raisons d'une saine colère.
Autre exemple : aux dogmatiques du positivisme qui réfutent l'existence du mal-être au prétexte qu'il ne se conforme guère aux outils d'une mesure "objective" et consensuelle, Vincent de Gaulejac oppose un certain pragmatisme : n'est-il pas vain et irresponsable, au vu des drames qui se jouent, de cautionner l'attentisme au motif que les "chiffres" font débat ? Est-il envisageable d'améliorer les choses sans admettre au préalable que les dimensions subjectives existent et qu'elles sont affectées car elles sont de plus en plus sollicitées (l'auteur propose le concept d'"exploitation psychique") par l'expérience post-fordiste du travail ?
Les changements intervenus au niveau de l'organisation et de la gestion du travail depuis les années 1980 ont considérablement transformé l'expérience du travail dans ses trois dimensions : le faire, l'avoir et l'être. Les conditions de production et la nature du travail (le faire) se sont métamorphosées avec l'automatisation, la désindustrialisation et la tertiarisation. Les garanties de l'avoir, c'est-à-dire les rétributions financières mais aussi symboliques perçues en contrepartie du travail fourni, ont été érodées par l'apologie de la flexibilité ainsi que par les coups de boutoir assénés au droit du travail et à la protection sociale. Enfin, l'être s'est également modifié dès lors que les individus ont été abusés par l'idéologie managériale qui prétend, à son seul profit, que la réalisation personnelle est intimement associée à l'investissement consenti au sein de son organisation. Les ressorts du mal-être au travail identifiés, Vincent de Gaulejac propose d'éclairantes illustrations des dégâts occasionnés, dans le privé comme dans le secteur public, en détaillant quelques études de cas.
S'il ne fait nul doute, au terme de cette lecture stimulante, que la colère qui sourd de l'univers du travail a ses raisons, il reste désormais à dépasser le diagnostic pour élaborer les modalités d'une action collective susceptible d'infléchir la tendance et de redonner au plus grand nombre l'assurance que le travail n'est pas ipso facto antinomique avec le bien-être. À l'heure où les gouvernements européens promeuvent l'allongement des carrières, réinventer les contours d'une expérience du travail soutenable apparaît comme un défi, ambitieux autant que nécessaire. Au travail ! — Fabienne Scandella"

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