Polar radioactif. Un cancérologue exhume l'histoire des “radium girls” [Book review - Radium girl]
2014
09
57
occupational risks ; radium ; women workers ; interest group ; occupational disease ; history ; trade union document
Occupational risks
French
978-2-7381-2975-8
"Ces dernières années, les éditeurs français ont publié de nombreux romans traitant de près ou de loin des conditions de travail. Et dresser la liste des fictions ayant pour trame de fond le mal-être dans le monde de l'entreprise constituerait sans doute une tâche impossible à mener à terme.
La richesse de ce nouveau filon littéraire est révélatrice du malaise grandissant qui entoure notre rapport au travail. Si ces romans occupent une place de plus en plus large sur les présentoirs des librairies, y trouver un ouvrage s'inscrivant dans la veine du roman noir est bien plus rare. C'est pourtant ce genre très codé qu'a choisi Jean-Marc Cosset, cancérologue dans le civil et auteur de romans policiers à ses heures perdues. Son métier de radiothérapeute à l'Institut Curie de Paris l'a aidé à dénicher un bon sujet pour assouvir sa passion. Son second polar s'inspire de l'affaire des "radium girls", un scandale méconnu de ce côté-ci de l'Atlantique mais qui occupe une place importante dans l'histoire du mouvement ouvrier américain.
Début des années 1920, les ouvrières de l'US Radium Corporation se plaignent de divers maux : certaines perdent leurs dents, d'autres ressentent des douleurs terribles à la mâchoire ou des nécroses de la peau. On diagnostique de l'anémie chez de nombreuses travailleuses de cette firme qui produit des montres luminescentes, notamment pour l'US Army. Les ouvrières touchées par ces mystérieux symptômes ont pour tâche d'appliquer sur les cadrans des montres de la peinture contenant un mélange de zinc et de radium, à l'aide d'un pinceau. Pour faciliter ce travail de précision, les ouvrières ont pris l'habitude d'affiner leur pinceau en le portant régulièrement à leurs lèvres. Alors que les chimistes de l'entreprise conçoivent la peinture radioactive derrière des écrans de plomb, quelque 70 ouvrières la manipulent sans la moindre protection.
Le premier décès survient en 1922, dans l'indifférence générale. Sans la détermination d'une des victimes, Grace Fryer, ce scandale serait peut-être passé inaperçu. La jeune ouvrière arrive à mobiliser quatre autres de ses camarades et part à la recherche d'un avocat qui accepte de porter l'affaire devant la justice. Un procès a finalement lieu en 1927. Il débouchera sur un accord entre les parties et l'octroi de modestes indemnités aux plaignantes.
Le roman de Jean-Marc Cosset plonge le lecteur dans l'Amérique du début des années 30 et le fait sans cesse naviguer entre faits historiques et pure fiction. Comme tout bon polar qui se respecte, des cadavres sont évidemment au rendez-vous dès les premières pages. Les corps de Jeremy Goldsach, le fils du PDG de la Radium Corporation, et d'Albina Larice, une des ouvrières de la firme, sont retrouvés dans la carcasse d'une voiture de sport cinquante mètres en contrebas d'un viaduc. Beaucoup d'autres suivront. L'avocat de l'entreprise est retrouvé étouffé avec des dollars dans la bouche, puis vient le tour d'un professeur de chimie dont le visage est recouvert d'une étrange peinture luminescente. D'autres scientifiques et notables de la ville d'Orange (New Jersey) connaissent bientôt le même sort macabre. Leur point commun, le procès de 1927 entre US Radium Corporation et les "radium girls", comme les avait baptisées la presse.
Cosset multiplie les flash-back pour expliquer les liens entre la randonnée mortelle du tueur vengeur à travers le New Jersey et les principaux protagonistes du procès. Le lecteur découvre petit à petit pourquoi, malgré le nombre d'ouvrières touchées et les preuves scientifiques sur les effets du radium sur l'organisme, les patrons de l'US Radium Corporation s'en sont tirés à bon compte. On découvre des avocats champions dans l'art de la manipulation de témoin et de la désinformation, des journalistes prompts à secourir de courageux entrepreneurs et de très peu désintéressés représentants de la science. C'est ce passage de l'intrigue qui a le plus de résonance avec des scandales plus récents. On pense aux barons de l'amiante-ciment, confortablement calfeutrés derrière les murs de leurs châteaux flandriens ou profitant d'une retraite dans leur paradis latino-américain de la biodiversité. — Denis Grégoire"
Digital;Paper
The ETUI is co-funded by the European Union. Views and opinions expressed are however those of the author(s) only and do not necessarily reflect those of the European Union or the ETUI.