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Plongée en apnée dans la précarité des journaliers américains [Book review - Les agences de la précarité : journaliers à Chicago]

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Article

De Troyer, Marianne

HesaMag

2012

05

48

labour flexibility ; labour market ; precarious employment ; temporary employment ; temporary work agency ; trade union document

USA

Employment

French

"Depuis les années 70, les États-Unis se sont caractérisés par le développement de politiques néolibérales et de programmes de workfare*. Ces derniers ont connu de multiples formes et expérimentations, mais ont toujours cherché à évincer les bénéficiaires de l'aide sociale en les transformant en contingents de travailleurs disponibles pour exercer dans des conditions d'emploi très flexibles et pour des salaires très bas. Les agences de travail journalier (day labor agencies) sont-elles la forme la plus dégradée d'intermédiation sur le marché du travail des programmes de workfare ? C'est la question à laquelle le sociologue français Sébastien Chauvin tente de répondre. Pendant deux années, il s'est immergé dans le monde des travailleurs journaliers américains de la région de Chicago (Illinois) en devenant lui-même journalier au sein des usines de l'industrie légère. Outre-Atlantique, les agences de travail journalier ressemblent à première vue aux agences d'intérim d'Europe, mais elles sont d'une nature différente puisqu'elles proposent du travail essentiellement déqualifié dans l'industrie légère à des franges précarisées de la population : le sous-prolétariat noir (souvent des ex-détenus) et des immigrés sans papier (majoritairement hispanophones). Le fonctionnement de ces agences, mais aussi des entreprises clientes qu'elles fournissent est fascinant de par l'embauche sans qualité et le non-droit qu'elles génèrent. Côté face : les agences de travail journalier. Ce qui frappe d'emblée à la lecture du livre de Sébastien Chauvin, c'est l'opacité des procédures de sélection qu'elles mettent en oeuvre pour recruter les journaliers : ceux-ci remplissent des dossiers de candidature qui ne sont pas consultés ou discutés avec un responsable de l'agence ; leurs compétences et leur expérience professionnelles sont rendues invisibles au profit de compétences naturalisées, c'est-à-dire de compétences définies a priori sur base de stéréotypes liés au sexe, à l'âge, à la race, etc. En outre, les agences ne proposent pas aux candidats des missions à réaliser, mais un système de "tickets" collectifs engageant un contingent aléatoire et arbitraire de travailleurs. Ces derniers subissent les méthodes paternalistes et fantaisistes des "dispatcheurs" chargés de les répartir dans les entreprises clientes après une attente longue, parfois plusieurs jours de suite, dans les salles de dispatch de l'agence. Cette attente non rémunérée, mais contraignante, permet au dispatcheur de jauger si le travailleur journalier est capable d'attendre en restant digne et constant, indicateur du fait qu'il souhaite vraiment travailler. En termes de perception subjective, l'obtention d'une participation à un "ticket" est également vécue comme une faveur puisqu'il y a plus d'appelés que d'élus et que les agences embauchent ces travailleurs alors qu'ils sont considérés comme inemployables ailleurs. Et donc, ils ont le sentiment d'être redevables au dispatcheur du privilège d'obtenir un travail en dépit de la conscience de l'exploitation dont ils font l'objet ! Les agences de travail journalier jouent aussi une fonction assurantielle, car elles dédouanent les entreprises clientes de la responsabilité d'employer des illégaux ou des ex-détenus puisqu'il leur revient de vérifier les documents civils des engagés, notamment leur carte de sécurité sociale (fausse, pour l'essentiel) ou le casier judiciaire des ex-détenus. Fragilisés sur le marché du travail, les travailleurs journaliers acceptent de jouer le jeu de l'opacité des procédures de recrutement et de sélection, car ces agences et leurs dispatcheurs leur permettent de contourner les services des ressources humaines des entreprises clientes qui n'accepteraient pas d'embaucher directement des ex-détenus ou des sans-papiers. Côté pile : qui sont les entreprises clientes ? Ce sont des usines sous-traitantes actives, pour l'essentiel, dans l'assemblage et l'emballage de produits finis. Pour elles, voilà une main d'oeuvre d'appoint, convoquée quasi au jour le jour, en fonction des besoins de la production au salaire horaire minimal. Ces travailleurs journaliers sont évidemment exclus des bénéfices sociaux (plans de retraite, congés payés, assurance médicale, hausses de salaire à l'ancienneté) dont bénéficient ceux qui ont un contrat de travail régulier. En même temps, l'emploi à la journée tant "attendu" est vide de sens puisqu'en général les journaliers ne connaissent pas le nom de l'entreprise pour laquelle ils vont travailler, ce qu'ils vont y faire et combien de temps ils vont y rester. Une fois dans l'usine, leur statut est toujours aussi marginal : ils n'ont pas accès aux cantines ni aux vestiaires, ils n'ont pas de vêtements de travail et d'équipements de protection individuelle (gants, casques, masques). Ils sont parfois même rejetés dès leur arrivée si trop de journaliers ont été envoyés sur place par l'agence. Dans les usines, ils sont soumis à des formes appauvrissantes de polyvalence et aux injonctions de toujours faire quelque chose même s'il n'y a rien à faire (ne pas s'asseoir, ne pas parler aux autres travailleurs de l'équipe même si le rythme de la chaîne est lent, ne pas se croiser les bras). L'auteur a réalisé un travail de terrain remarquable qui débouche sur une analyse générale du workfare et de la précarité comme rapport social. — Marianne De Troyer"

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