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Une histoire des sciences, versant cambouis [Book review - Histoire populaire des sciences]

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Article

Grégoire, Denis

HesaMag

2011

04

45

history ; science ; technological change

Social sciences

French

"Nous connaissons l'histoire des sciences telle que les ouvrages scolaires nous l'ont apprise : comment Archimède découvrit dans son bain les bases de la mécanique des fluides, comment Galilée démontra que la Terre n'est pas au centre de l'univers, comment Newton découvrit l'existence de la gravité en voyant tomber une pomme. L'historiographie officielle attribue à quelques grands hommes isolés les découvertes scientifiques qui ont contribué aux progrès techniques et matériels.
L'historien américain Clifford D. Conner s'évertue dans son Histoire populaire des sciences à nous démontrer qu'au contraire les sciences sont depuis toujours une oeuvre collective. Ce livre iconoclaste met au jour la contribution apportée aux savoirs par ceux qui sont censés ne pas savoir : les chasseurs cueilleurs, les petits paysans, les marins, les mineurs, les forgerons, les charpentiers et tant d'autres métiers manuels. En huit grandes parties, des "peuples premiers" aux ados américains des seventies jetant les bases de l'informatique pour tous, l'ouvrage retrace toute l'histoire humaine en rendant hommage à la contribution des gens du commun aux progrès scientifiques.
La thèse du livre est que les différentes "révolutions scientifiques" n'auraient jamais pu voir le jour sans les savoirs et pratiques techniques patiemment accumulés, transmis et améliorés par des milliers d'inconnus. Clifford D. Conner, qui a lui-même exercé de nombreux petits métiers avant de se lancer sur le tard dans des études universitaires, n'est pas avare d'exemples. Il montre combien la fréquentation assidue des ateliers de mécanique de l'arsenal de Venise a permis à Galilée d'élaborer ses théories sur la balistique, combien l'anatomie est redevable aux dessinateurs anonymes – Vésale ne prit pas la peine de les citer ! – des 420 illustrations de La Fabrique du corps humain, combien les découvertes astronomiques de Tycho Brahé sont liées aux télescopes produits par les lunetiers, etc.
L'oeuvre de l'historien dissident n'est pas qu'un fastueux exercice de réhabilitation, elle est surtout une dénonciation de l'usage des sciences en tant qu'instrument de domination. Conner multiplie les exemples. Un des plus convaincants est celui de la quinine. Il rappelle que la quinine était un remède traditionnel des Indiens Quechuas du Pérou. Une fois tombée sous le contrôle des colons, la culture de l'"arbre à quinine" permit à l'homme blanc d'éradiquer le paludisme en Europe… et de pénétrer le continent africain sans plus aucune crainte pour sa santé.
Mais l'instrumentalisation systématique de la science au service des puissants (contre le peuple) serait un phénomène relativement récent : il remonterait au XIXe siècle, à travers ce que Conner qualifie d'''alliance du capital et de la science" pour culminer aujourd'hui avec le "complexe scientifico-industriel". L'historien dénonce la civilisation de la technoscience, dominée par les experts et obsédée par l'efficacité, la rationalisation, l'accumulation et le profit. "Le travail scientifique dans sa quasi-totalité est le fait de professionnels directement employés ou indirectement financés par de grands groupes capitalistes ou des gouvernements", constate-t-il.
Les frontières entre recherche publique, industrielle et universitaire se sont progressivement brouillées. "Il en résulte que l'argent public versé aux universités sert à produire des connaissances qui deviennent ensuite la propriété privée des grandes entreprises", renchérit-il.
La grille de lecture binaire (l'élite vs le peuple) que l'auteur systématise peut agacer. Son Histoire populaire des sciences a cependant le grand mérite d'enfin nous faire découvrir ceux que l'histoire avec un grand H a oublié et les conditions sociales de cet oubli. On pourra en tirer quelques conclusions à usage syndical telles que la nécessité d'associer ces "artisans du savoir" que sont les travailleurs à la définition des normes et des politiques de prévention des risques sur le lieu de travail, terrains qui restent encore aujourd'hui la chasse gardée des experts et des technocrates. — Denis Grégoire"

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