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L'incroyable épopée des migrants vers l'Europe [Book review - The new Odyssey: the story of twenty-first century refugee crisis]

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Article

Koksal, Mehmet

HesaMag

2019

20

57

migrant ; trade union document

Migration

French

"Élément fondateur de la littérature occidentale, l'Odyssée d'Homère nous est souvent relatée à travers ce voyage périlleux en mer d'Ulysse qui rencontre de nombreux personnages mythologiques avant de délivrer son épouse Pénélope et son fils Télémaque. C'est à travers une même métaphore actualisée que le journaliste Patrick Kingsley nous conte d'une manière captivante l'épopée d'Hashem al-Souki, ce réfugié syrien ayant fui la guerre civile dans son pays après y avoir subi l'incarcération, la torture et l'humiliation infligées par les agents du régime Assad.
Contraint de quitter l'Égypte à la suite du coup d'État militaire qui mit fin à la tolérance envers les réfugiés syriens, notre homme décide de laisser femme et enfants sur place en vue de tenter la traversée périlleuse de la Méditerranée. Il monnaye son passage auprès des passeurs devenus professionnels de ce négoce. "Traverser ces eaux impitoyables et les territoires hostiles qui vont suivre valent-ils la maigre chance d'assurer un foyer sûr à ses enfants en Europe ? S'il échoue, au moins il échouerait seul", explique l'auteur en détaillant le raisonnement implacable de ces réfugiés, à travers le récit de M. al-Souki, qui n'ont pas d'autre choix face à la guerre (Syrie), le service militaire à vie (Érythrée), l'esclavagisme (Libye) ou tout simplement la pauvreté.
Le livre nous offre une immersion dans le milieu des passeurs et des trafiquants avec des entretiens osés et des chiffres exclusifs sur le business model du trafic des êtres humains en cours à Ajdabiya (Libye), Agadez (Niger) ou Izmir (Turquie). Il nous explique comment le transport illégal continue malgré les mesures annoncées pour y mettre fin. On apprend aussi pourquoi les embarcations sont surpeuplées et à travers quel moyen d'information (Facebook/WhatsApp) les candidats au refuge s'informent sur la route. Ils rejoignent exténués d'abord la Grèce ou l'Italie, pour ensuite traverser à pied ou en train la France ou la route hostile des Balkans afin de demander l'asile en priorité en Allemagne ou en Suède. Pourquoi ces deux pays ont-ils la préférence ? Essentiellement pour un accueil plus humain et une procédure plus efficace en vue de procéder à la réunification familiale.
En tant que correspondant en charge de la migration pour le quotidien britannique The Guardian, ce n'est pas à Patrick Kingsley qu'il faut ressortir les arguments classiques des élites européennes flirtant avec le populisme du genre "ils n'ont qu'à demander l'asile dans les pays du Moyen-Orient" (c'est déjà le cas avec le Liban, la Turquie, l'Égypte et la Jordanie qui absorbent la très grande majorité des réfugiés), "ce ne sont pas des réfugiés mais des migrants économiques originaires du Nigéria, de Somalie ou d'Érythrée" (selon l'ONU, 84 % des migrants arrivant en bateau sont originaires du top 10 des pays fournissant des réfugiés, la Somalie et le Nigéria fournissent peu de migrants tandis qu'il y a de très bonnes raisons de fuir actuellement des pays comme l'Érythrée, la Syrie, l'Afghanistan ou l'Irak). L'auteur est très critique sur le rôle de l'Union européenne (et son agence Frontex), sur l'absence d'une vraie politique à l'échelle européenne et sur l'inexistence d'une solidarité entre les États membres pour gérer cette crise de l'accueil des réfugiés. Face à la faillite des classes dirigeantes, l'auteur met en lumière la courageuse mobilisation bénévole de citoyens européens (Hans le paysan autrichien, Éric et Philippa les retraités britanniques…) en faveur des réfugiés.
Kingsley n'aime pas trop cette distinction terminologique régulièrement citée dans les milieux libéraux de gauche entre, d'un côté, les bons réfugiés et les mauvais migrants économiques, de l'autre. Le journaliste-écrivain plaide pour un retour au sens originel et neutre du terme "migrant" qui décrit l'action d'une personne et non son intention forcément subjective. À juste titre, il explique que la réalité est plus complexe et qu'il est de plus en plus difficile de faire une telle différenciation. "L'histoire de l'humanité est essentiellement une histoire de mouvement humain. Dans un avenir proche, les gens bougeront encore plus si, comme certains le prédisent, le changement climatique déclenche une migration de masse à une échelle sans précédent."
La Nouvelle Odyssée de cet Homère des temps modernes déconstruit la stratégie de déshumanisation (chiffres, statistiques, étrangers, esclaves…) des réfugiés en vogue dans certains discours xénophobes et recadre la crise de l'accueil dans un nouveau récit humain fondateur pour l'Europe. — Mehmet Koksal"

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