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Les personnes affectées par des maladies chroniques : des régulateurs d'humanité pour transformer le travail [Book review - Que font les dix millions de malades ? Vivre et travailler avec une maladie chronique]

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Article

Vogel, Laurent

HesaMag

2016

14

52

chronic diseases ; employability ; return to work ; trade union document

France

Occupational qualification and job placement

French

" Le lien entre maladie chronique et travail est rarement abordé. Il s'agit pourtant d'une réalité importante sur les lieux de travail. Pour la France, on considère qu'un quart de la population en âge de travailler est affectée par une maladie chronique. Cela représente environ 10 millions de personnes. Il est vraisemblable qu'on trouverait des proportions comparables dans les autres pays européens. Le livre de la psychologue du travail Dominique Lhuilier et de la sociologue Anne-Marie Waser a le mérite de faire le point sur la vie et le travail de ces personnes. Dans ce compte rendu, nous nous concentrerons sur les chapitres de ce livre traitant du travail. Les autres développements sur l'expérience de vie, la transformation des temps, le rôle des associations de patients n'en présentent pas moins un grand intérêt. Issue d'une recherche-action, la partie consacrée au travail est construite autour de trois études de cas où a été analysée la situation d'entreprises dans les secteurs du nettoyage, du commerce et de l'intérim.
Souvent, une maladie chronique se traduit par des alternances de situations où les symptômes de la maladie et les effets des traitements peuvent être aigus rendant difficile ou impossible l'accomplissement du travail et d'autres périodes où la maladie reste là mais n'a pas de conséquences d'une gravité telle qui ferait obstacle au travail. À cette variabilité des situations physiques s'ajoutent d'autres facteurs qui peuvent rendre la situation en¬core plus complexe : l'impact psychologique de la maladie et la stigmatisation sociale, plus marquée pour certaines maladies que pour d'autres.
Dans la majorité des cas, les personnes atteintes d'une maladie chronique désirent poursuivre leur activité professionnelle. Il y a bien sûr une nécessité impérieuse de caractère économique pour la majorité. Autrement, c'est la plongée dans la pauvreté. Mais il y a aussi un intérêt à maintenir les relations sociales. Le travail apparaît symboliquement comme la garantie d'une possibilité de rétablissement, voire de guérison. Il est, en tout cas, le signe de la poursuite d'une certaine normalité en dépit de la maladie.
Les dispositifs pour le maintien au travail des personnes affectées sont très sommaires : mi-temps thérapeutique, aménagement du temps de travail, etc. Ils vont rarement jusqu'à une adaptation plus profonde des conditions mêmes du travail. Ils restent centrés sur une approche individuelle : c'est la personne qui présente ce qui va être considéré comme un déficit fonctionnel qui doit solliciter l'entreprise, sans grande garantie en termes de droit. Par ailleurs, de nombreuses formes de soutien informel peuvent être mises en place grâce à la solidarité des collègues. Mais, là aussi, ces aides indispensables sont rarement garanties par l'entreprise en tant que telle.
Le livre relève le poids des inégalités sociales. La possibilité de renégocier des conditions de travail adaptées à une situation de maladie chronique n'est pas la même en fonction de la place dans la hiérarchie sociale. Pour les personnes déjà fragilisées sur le marché du travail, il y a là une sorte de "double peine". Deux facteurs s'ajoutent à cette inégalité de départ. Les représentations sociales liées aux différentes maladies peuvent être plus ou moins stigmatisantes. Dans certains cas, elles contraignent les personnes affectées à une sorte de clandestinité (cas du VIH). Du coup, les stratégies d'adaptation du travail à la maladie se construisent dans une profonde solitude et sont d'une grande fragilité. Pour le cancer, elles suscitent l'angoisse de la mort. Enfin, les évolutions de l'organisation du travail sont peu favorables. Sur ce point, l'enquête est formelle : "Ce sont les conditions d'emploi et du travail salarié, du privé comme du public, qui sont identifiées, par une majorité de participants, comme incompatibles avec le maintien ou le développement de leur santé. Sont unanimement dénoncés : travail sous contrainte temporelle, évaluation continue par des indicateurs simplistes des quantité et qualité du travail, parcellisation des tâches et centration de la finalité du travail sur la réalisation d'objectifs de rentabilité de l'entreprise."
La conclusion d'une des participantes pointe l'importance de l'expérience de la maladie chronique pour contester l'organisation du travail. Corinne qui vit avec une sclérose en plaques et les séquelles d'un cancer du sein est éloquente : "C'est important que le monde du travail reconnaisse les gens handicapés. Ce sont des régulateurs d'humanité dans notre société. On n'est pas des robots ! Dans le monde du travail, il faut juste être efficace, rien d'autre (…). Les malades, c'est une sorte de thermomètre. Les autres dénient, fuient. Mais c'est faux bien sûr, ils ne sont pas invincibles. Aujourd'hui, les gens sont pressurisés au travail, malheureux. Et il est temps d'humaniser le monde du travail !" — Laurent Vogel"

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